Le Chant des Moines
Sur la route de Perpignan,en passant par la haute vallée de l'Aude,se trouve le village de Saint- Martin-Lys, une agglomération qui a connu, jadis, d'épouvantables événements.
Coquettes sous le soleil, les maisons du petit village montent à l'assaut d'une verte colline, puis, comme essoufflées, s'arrêtent avant le sommet. En bas, un petit pont se charge de relier les lieux à la route nationale, en aidant au franchissement de l'Aude bouillonnante et rapide.
D'apparence calme, presque déserte, l'agglomération a connu, à l'époque des guerres de religion,
une période des plus cruelles. Tous les habitants du village auraient été massacrés par les protestants, à l'aube du 16 août 1573. Pire, les moines du monastère, n'échappant pas à la tuerie,
furent égorgés comme de simples gorets, leurs corps étant jetés à la rivière, et le monastère étant, quant à lui, complètement rasé.
Depuis, la végétation ne pousse plus sur l'emplacement de l'édifice, non loin de l'Aude, face à une falaise, bien que, tout autour, quantité de petits jardins prospèrent, bien cultivés par les habitants. Il
règne en ces lieux une bizarre atmosphère,f aite à la fois de souvenirs passés et de réalité concrète, laquelle se manifeste régulièrement autant aux habitants qu'aux simples curieux ou touristes survenant là, à point nommé, pour essayer d'entendre, de voir, à défaut de comprendre.
Les gens du pays affirment en effet que toutes les nuits du 15 au 16 août, ainsi que celles du 1er au 2
novembre, les moines reviennent sur l'emplacement de leur ancien monastère. Ils chantent alors leur misère passée, et leur choeur émerge de la nuit comme une chose éprouvante qui tend les nerfs et
fait battre fortement les coeurs. Le glas d'une cloche retentit alors, syncopé, rythmant les chants religieux que d'aucuns assimilent aux pleurs des trépassés.
Venant à point pour l'anniversaire de leur supplice, ainsi que pour la fête des morts, les fantômes chantants des moines sont redoutés, parce qu'ils apportent, dit-on, à ceux qui ne se bouchent pas les
oreilles, les pires alarmes, voire la mort.
Vers 1910, dans la nuit fatidique du 15 au 16 août, plusieurs hommes du village se rendirent sur l'emplacement de l'édifice religieux, bien décidés à élucider ce qu'ils considéraient comme une
supercherie. Des chants latins s'élevèrent en effet dans la nuit. Ils reconnurent un Ave Maria Stella modulé sur un air très ancien, mais ne découvrirent aucune forme, aucun fantôme, ni d'ailleurs
aucun être vivant. Les chants s'élevaient, comme sourdant de terre, et on imagine comment l'expédition guerrière se transforma en débandade précipitée.
Le drame,authentifié en ce temps-là, fut que tous les participants à cette exploration aventureuse eurent, par la suite, des accidents plus ou moins graves. Depuis,lorsque surviennent les nuits
fatidiques,chacun utilise différents moyens pour ne pas risquer d'entendre, et donc de devenir la proie de cette sorte de malédiction.
Certains scientifiques, interrogés, arguèrent qu'il pouvait exister dans les gorges de Pierre-Lys, un phénomène d'orgues phonolithiques revêtant l'aspect de chants, sans pouvoir pour cela tenter d'expliciter le pourquoi de ces sons uniquement aux dates précitées. D'autres n'ont pas exclu un
phénomène métapsychique, et ont rétorqué que, sur le lieux où de nombreuses personnes ont péri de mort violente, il peut se produire une imprégnation provoquant des phénomènes analogues à ceux
que l'on trouve dans les maisons hantées.
Quoi qu'il en soit, plus personne, à notre connaissance ne s'est vanté de s'être hasardé de renouveler l'expérience de 1910. Les moines chantants ne sont pas près d'être débusqués, et la sarabande des
nuits fatales se perpétue sans qu'il se trouve un audacieux pour la troubler.